04/06/2020 - L’étude du «Lancet» sur l’efficacité de l’hydroxychloroquine mise en doute

L’étude publiée dans la revue scientifique britannique avait provoqué notamment la suspension par l’OMS des essais cliniques qu’elle menait sur cette molécule. Des dizaines de scientifiques s’allient pour condamner sa méthodologie et l’intégrité de ses données.

 

La suspension par l’OMS des essais sur l’hydroxychloroquine aurait pu signer la fin de ce possible traitement contre le Covid-19. Mais l’étude responsable de cette décision est désormais attaquée de toutes parts. Cela relance le débat sur la molécule controversée.

L’étude en cause, publiée le 22 mai dans la revue scientifique The Lancet, se fonde sur environ 96 000 patients hospitalisés entre décembre et avril dans 671 hôpitaux. Elle compare l’état de ceux qui ont reçu le traitement à celui des patients qui ne l’ont pas eu.

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Le Dr Mandeep Mehra et ses collègues concluent que le traitement ne semble pas être bénéfique aux malades du Covid-19 hospitalisés et pourrait même être néfaste. Ces résultats, qui vont dans le même sens que plusieurs autres études à plus petite échelle, ont eu un retentissement considérable et des conséquences spectaculaires.

Trois jours plus tard, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a annoncé la suspension par mesure de précaution des essais cliniques qu’elle menait sur cette molécule avec ses partenaires dans plusieurs pays. Plusieurs autres essais cliniques ont été suspendus et la France a banni l’utilisation de l’hydroxychloroquine pour le traitement du Covid-19, au grand dam de ses promoteurs.

Etude «foireuse»

Le premier d’entre eux, le désormais célèbre Pr Didier Raoult, a d’ailleurs immédiatement jugé l’étude du Lancet «foireuse». Ses propres travaux qui concluent à l’efficacité de l’hydroxychloroquine associée à un antibiotique, l’azithromycine, ont été décriés, d’autres scientifiques pointant du doigt de nombreux biais méthodologiques.

Mais même des chercheurs sceptiques sur l’intérêt de la molécule pour traiter les malades du Covid-19 ont exprimé leurs doutes sur l’étude du Lancet, s’interrogeant notamment sur la provenance des données utilisées. Dans une lettre ouverte publiée jeudi soir, des dizaines de scientifiques du monde entier, de Harvard à l’Imperial College de Londres, soulignent ainsi que l’examen minutieux de l’étude du Lancet «a soulevé à la fois des inquiétudes liées à la méthodologie et à l’intégrité des données».

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Ils dressent une longue liste des points problématiques, d’incohérences dans les doses administrées dans certains pays à des questions éthiques sur la collecte des données des patients, en passant par le refus des auteurs de donner accès aux données brutes.

«Briser la confiance»

Ces données de l’étude émanent de Surgisphere, qui se présente comme une société d’analyse de données de santé, basée aux Etats-Unis. L’entreprise a défendu l’intégrité de ses données et affirmé qu’elles viennent d’hôpitaux qui collaborent avec elle. Mais selon le journal The Guardian, son patron Sapan Desai, un des auteurs de l’étude, a reconnu avoir par erreur classé 73 décès en Australie alors qu’ils auraient dû être comptés en Asie.

«Cela souligne le besoin de vérification des erreurs dans l’ensemble de la base de données», réclame les scientifiques dans leur lettre ouverte. Ils appellent à la mise en place par l’OMS ou une autre institution d’un groupe chargé de mener une analyse indépendante des conclusions de l’étude.

Interrogée vendredi sur cette question, l’OMS a noté que la suspension des essais impliquant l’hydroxychloroquine était «temporaire». Ses experts rendront leur «opinion finale» après l’examen d’autres éléments (notamment les analyses intérimaires de l’essai Solidarity), probablement d’ici à la mi-juin.

La lettre ouverte, signée notamment par le Pr Philippe Parola, collaborateur du Pr Raoult, a immédiatement été relayée par ce dernier, citant Winston Churchill. «Ce n’est pas la fin. Ce n’est même pas le commencement de la fin. Mais c’est peut-être la fin du commencement… De la guerre contre la chloroquine», a-t-il tweeté.

Mais tous les signataires de la lettre ouverte sont loin d’être des défenseurs de l’hydroxychloroquine. «J’ai des doutes sérieux sur les bénéfices d’un traitement à la chloroquine/hydroxychloroquine contre le Covid-19 et j’ai hâte que cette histoire se termine, mais je crois que l’intégrité de la recherche ne peut pas être invoquée uniquement quand un article ne va pas dans le sens de nos préconceptions», a commenté sur Twitter le Pr François Balloux, de l’University College de Londres.

Aussi, «c’est avec le cœur lourd que j’ai ajouté mon nom à la lettre ouverte». Signataires ou non, de nombreux scientifiques ont relayé leurs inquiétudes de l’impact de cette affaire sur la science, parfois avec les hashtags #Lancetgate («scandale Lancet») ou #whats_with_hcq_lancet_paper («que se passe-t-il avec l’étude du Lancet»).

C’est l’un des virages à 180 degrés les plus rapides de l’histoire de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Celle-ci a annoncé, mercredi 3 juin, son intention de reprendre les essais cliniques sur l’utilisation de l’hydroxychloroquine pour traiter les patients atteints par le Covid-19… dix jours seulement après les avoir arrêtés.

C’est un nouveau chapitre à ajouter à l’histoire déjà très mouvementée de ce médicament antipaludéen que le président américain Donald Trump assure avoir pris pour se protéger du coronavirus. Un rebondissement qui entache aussi la réputation de la très respectée revue scientifique britannique The Lancet. L’OMS avait, en effet, décidé de couper court à ses tests sur l’efficacité de l’hydroxychloroquine à la suite de la publication d’un article dans ce journal « démontrant » que ce traitement augmentait le risque de complications cardiaques chez les patients souffrant du Covid-19. D’autres centres de recherches ont suivi cet exemple. Des décisions lourdes de conséquences en pleine pandémie, alors que la course pour trouver un remède efficace bat son plein.

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